Népal 2015 : Au cœur d’un cafouillage aérien

Tu ne peux pas voyager sur un chemin sans être toi-même le chemin.

– Bouddha

Mon épopée pour rejoindre Katmandou depuis l’aéroport de Bangkok, lors du puissant séisme qui frappa le Népal le 25 avril 2015, fût un enchaînement de circonstances singulières. Le Népal, dernier des cinq pays que j’ai visité au cours de mon voyage de huit mois en Asie, était sans doute la destination qui me rendait le plus rêveuse. Y accéder ne fût pas une mince affaire ; la route était semée d’embûches et d’obstacles à surmonter. Sans doute était-ce un rite de passage pour tester ma volonté, celle qui était de fouler les terres sacrées du pays natal de Bouddha.

De Bangkok à Kuala Lumpur

J’arrivais à Bangkok en autocar, depuis la petite ville de Chaiyaphum où j’avais fait du volontariat. Des pluies diluviennes s’abattaient sur la ville. Mon sac, pourtant resté en soute, était trempé, mais c’était le cadet de mes soucis : je voulais gagner l’aéroport au plus vite. Traversant le parking transformé en piscine olympique, j’allais d’employé en employé pour demander le bus 77. On m’indiqua de m’engager dans un passage abrité par des bâches où des multitudes d’échoppes, vendant des téléphones et des vêtements à prix incroyablement bas, se côtoyaient au gré d’allées sinueuses et inondées. Cet endroit était un vrai labyrinthe dans lequel je m’éternisais à essayer de trouver la sortie, celle qui menait vers le parking des bus locaux. Après avoir tourné en rond un instant et être revenue sur mes pas, j’arrivais enfin au fameux bus 77 vers lequel je courus en faisant un signe de main, puisqu’il manœuvrait et était sur le point de partir.

Je m’installais à bord en essayant de payer attention à chaque arrêt. Ma destination était “Rachaprarop“, grande intersection d’où je pouvais prendre l'”Airport City Line” pour me rendre directement à l’aéroport. J’ai seulement fait l’expérience de Bangkok par le biais de la fenêtre du bus, mais c’était assez pour conclure que ce n’était pas le genre de ville dans laquelle j’aimerais m’éterniser. Peut-être le temps gris jouait-il en sa défaveur ? La pluie avait cessé. Je descendais du bus et commençais à marcher vers les grands escaliers de l’Airport City Line. J’achetais quelques bananes en chemin ; j’étais parée pour la plus longue escapade en avion que j’ai connue à ce jour.

L'art de la patience - deux jours à l'aéroport

C’est au passage des douanes qu’une employée, regardant ma carte d’embarquement avec de grands yeux stupéfaits, m’alarma en me précisant qu’un tremblement de terre venait de se produire au Népal.

“Are you sure you still want to go there?”

“Yes, I said, I won’t change my plans.”

Elle poussa un grand soupir.

À ce stade de l’aventure, je n’avais aucune idée de l’ampleur de la catastrophe. J’imaginais un tremblement de terre minime qui n’aurait en rien altéré le pays. C’est seulement par la suite que je compris que les choses étaient bien plus graves.

Mon vol depuis Bangkok, opéré par Malaysia Airline, faisait une escale à Kuala Lumpur. J’avais prévu de dormir une nuit dans cet aéroport, puisque l’avion arrivait à minuit dans la capitale Malaisienne et le départ vers Katmandou s’effectuait à 8h00. L’aéroport international de Kuala Lumpur est heureusement très propre et très confortable. Je me suis presque sentie dans ma propre salle de bain ; je pris le temps de faire ma toilette et de me brosser les dents avant de chercher un endroit où dormir. J’allais sommeiller sur une banquette isolée des passages empruntés, emmitouflée dans une couverture violette que j’ai “emprunté” à la compagnie aérienne.

Mauvaise surprise à mon réveil : le tableau des départs affichait que le vol de 8h00 était reporté à 17h00. Je me rendais à la porte d’embarquement pour en savoir plus, mais le personnel ne semblait pas avoir plus d’informations que moi. Ils me conseillèrent de faire un tour, de prendre un petit-déjeuner, de faire des emplettes ; bref, de passer le temps. Et le temps passe si lentement dans un aéroport. Je me suis posée dans un des cafés pour profiter de la WIFI et attendre l’heure du départ.

De retour à la porte d’embarquement à l’heure affichée, tout semblait être rentré das l’ordre. On nous fit repasser nos bagages au scanner et patienter dans la salle d’embarquement, avant de nous annoncer que le vol était annulé. Douche froide. Les esprits ont pourtant commencé à s’échauffer : une hôtesse nous conseilla de nous rendre au bureau des réclamations. Ce fût une ruée hors de la salle d’embarquement. Les employés au bureau des réclamations étaient sur les nerfs, mais nous apprîmes qu’un autre vol était prévu le lendemain matin, très tôt. Ils ne savaient rien de plus. Patienter était la seule option possible.

Les passagers s’éparpillaient. Je fis la connaissance de trois Vietnamiens qui avaient pour projet de suivre le chemin de randonnée de l’Anapurna. Nous nous installâmes dans une partie de l’aéroport où nous voulions passer la nuit. Je décidais quand même de retourner au bureau des réclamations pour en savoir plus sur ce nouveau vol. À ma grande surprise, les employés me dirent qu’il fallait que je change mon billet si je souhaitais prendre le nouveau vol programmé pour 4h35 du matin : c’est une information qui ne fût pas communiquée à tous et qui jouera des tours à la plupart des passagers.

Je dus sortir de la zone de transit, aller au bureau d’accueil de Malaysia Airline pour échanger mon billet et repasser les douanes. Je retrouvais les Vietnamiens à un stand de nourriture pour leur expliquer la situation et la démarche à suivre pour obtenir un nouveau billet. Entre temps, ils avaient laissé leurs affaires dans une salle d’embarquement que Malaysia Airline avait aménagé pour les passagers qui devaient passer la nuit ici. Encore une fois, cette information n’avait pas circulé puisqu’une dizaine de personnes seulement se trouvaient dans cette salle où la climatisation frigorifiait l’air ambiant. Les fines couvertures que l’on nous donna ne furent pas suffisantes pour nous empêcher de grelotter, et la nuit sur le sol dur de cette salle ne fût en aucun cas régénératrice.

L’ironie voulue que nous soyons littéralement prisonniers de cette salle. La compagnie aérienne avait bloqué l’ascenseur qui menait au niveau supérieur, et deux gardiens assis à un comptoir nous interdisaient de sortir. Je ne sais pas si c’était pour éviter que les passagers s’éparpillent de nouveau, mais en pratique, on avait la sensation d’être pris au piège. Certains passagers n’avaient pas changé leurs billets ; lorsque les membres de Malaysia Airline vinrent nous chercher à 4h00 du matin, ils demandèrent uniquement aux personnes avec de nouveaux billets de les suivre. Les autres devaient encore attendre, pour on ne sait combien de temps.

Purple people, waiting and freezing - Kuala Lumpur Airport

L'art de la patience - dix-sept heures de voyage

Nous prîmes l’ascenseur en suivant le porte-parole de Malaysia Airline qui nous conduit à la porte d’embarquement. Cette fois-ci, l’avion était prêt, nous décollâmes vers 5h00. L’avion était plein à craquer : en vérité, ce nouveau vol en avait combiné deux autres. Il y avait à son bord une équipe de médecins Turcs et un nombre important de journalistes venus de tous horizons.

Même s’il semblait que nous étions finalement en route pour le Népal, il ne fallait pas se réjouir trop vite : le pilote nous annonça qu’il devait faire une escale à Dacca, capitale du Bangladesh, pour attendre la permission d’atterrir à Katmandou. Les passagers gardaient leur calme et acceptaient la décision avec résignation. Ce n’est qu’à ce moment-là que les choses tournèrent au vinaigre.

Nous patientâmes à Dacca un peu plus d’une heure avant que l’avion puisse entamer son premier essai pour atterrir au Népal. On pouvait observer, sur l’écran installé devant chaque siège, le parcours de l’avion qui tournait et faisait des boucles autour de Katmandou. Cela dura près de trois heures, en vain. Le pilote dû retourner à Dacca, où nous étions tenus d’attendre sur la piste d’atterrissage, à l’intérieur de l’avion. Je ne saurais dire combien de temps s’était écoulé avant que le pilote ne reprenne les commandes pour effectuer une nouvelle tentative pour tournoyer autour de la capitale Népalaise, mais ce fût un nouvel échec. Après ce deuxième essai, il finit par revenir à Dacca où nous attendîmes à nouveau dans l’avion. La fin de journée s’annonçait, le jour baissait déjà ; n’oublions pas que nous étions dans l’avion depuis 5h00 du matin. À ma grande surprise, les passagers gardaient davantage leur calme que les employés de la compagnie aérienne.

Il faisait très chaud. Nous n’étions pas autorisés à sortir de l’avion. L’attente semblait sans fin. Des rumeurs, des questionnements, des propositions de solutions émanaient de droite à gauche. Les passagers parlaient entre eux, certains liens se créaient. L’une des principales informations qui circulait était que Malaysia Airline ne souhaitait pas prendre le risque d’atterrir dans de pareilles circonstances à cause de leur passé douloureux de crashs aérien en pleine mer. Apparemment, les autres compagnies avaient accès à l’aéroport.

C’est au coucher du soleil, vers 19h00, que les membres de l’équipage nous annoncèrent que nous allions passer la nuit dans un hôtel. Un hôtel au Bangladesh ? Certains ricanaient à cette proposition.

Les membres de l’équipage nous firent sortir de l’avion. Quelle joie de pouvoir enfin se dégourdir les jambes, de sentir la chaleur extérieure et le grand air pourtant enveloppé de smog. Nous voilà dans l’aéroport de Dacca, aéroport me faisant vaguement penser à une station de train soviétique. Un plafond bas, des rangées de sièges en plastique orange, des murs vert-bouteille, le tout baigné dans une lumière terne et livide. Un aéroport quasiment vide qui, soudain, se trouvait assaillis par une centaine d’étrangers, formant une file interminable, attendant de recevoir un visa de transit. Les autorités semblaient quelque peu dépassées par cet afflux de visiteurs : ils devaient examiner chaque passeport et remplir une fiche sur leur ordinateur. On pouvait comprendre que Dacca n’était pas une destination très prisée par les touristes : la confrontation aux noms étrangers augmentait considérablement la durée de la démarche.

Deux heures plus tard, et une fois les passeports en règles, on nous dirigea vers l’extérieur de l’aéroport où des mini-bus faisaient la navette pour rapatrier tous les passagers vers l’hôtel. Le trajet dura environ 45 minutes. J’en concluais que l’hôtel devait être relativement éloigné de l’aéroport. Beaucoup de voitures circulaient, des pousse-pousses, des bus sans vitre et d’étranges taxi-cages (de petites voitures grillagées qui ressemblaient littéralement à des cages sur roues). Il faisait nuit, une nuit bruyante à Dacca, et des visages, des bâtiments défilaient à travers la fenêtre du mini-bus. Personne ne parlait.

Comme des Rois au Bangladesh

Nous arrivâmes enfin à l’hôtel, à 22h00. Ce fût un grand soulagement, ainsi qu’une belle surprise ; pas de chambre vétuste ou de petites bestioles comme s’en inquiétaient les passagers. L’hôtel, moderne et pimpant, était extrêmement bien entretenu. Il s’agissait du “Dhaka Regency Hotel & Ressort”, un cinq étoiles où les employés des compagnies aériennes semblaient avoir l’habitude de faire escale. La fatigue et l’amertume s’étaient dissipées, surtout lorsque l’on nous annonça que nous pourrions profiter d’un buffet gratuit et à volonté. Le personnel nous accueillait avec la plus délicate des gentillesses et nous précisa que nous devions être deux par chambre. Ayant perdu de vue mes compagnons Vietnamiens, c’est avec une Californienne du nom de Nena que je partageais la chambre. Elle travaillait à Surkhet, à l’ouest du Népal, dans une ONG. Nous discutâmes beaucoup et allèrent manger ensemble. Le buffet excédait toutes mes attentes. Je n’avais jamais aussi bien mangé pendant mon voyage : riz à la chinoise, houmous, curry, lentilles, haricots, légumes grillés, lait de soja… enfin un vrai repas, végétalien pour couronner le tout !

Après m’être englouti des portions hors norme de nourriture, avoir délicieusement profité de la salle de bain et dormi d’un sommeil inaltérable, le téléphone de la chambre sonna à 8h00. On nous demanda de nous tenir prêtes à faire le check-out dans les moindres délais. À la réception, voyant que beaucoup de personnes semblaient manquer à l’appel, nous prîmes le temps de nous rendre au restaurant pour profiter une dernière fois du buffet divin. Je n’avais quasiment rien manger lors de ce périple, mis à part le pain blanc raffiné que l’on nous fournissait dans l’avion. Je préférais anticiper le fait qu’un scénario semblable puisse se répéter, et décida de me remplir la panse.

Best buffet in the Dhaka Regency & Ressort Hotel
Dhaka during the elections, 28 April 2015
Rickshaws in Dhaka

Nous apprîmes que Dacca était en pleine élections municipales. Plus aucune voiture à l’extérieur (j’ignore la raison officielle de cette décision), seulement des pousse-pousses. Avec Nena, nous marchâmes dans une rue adjacente à l’hôtel. Je ne me souviens plus de ce qu’elle souhaitait acheter, seulement, les magasins étaient fermés. Les conducteurs de pousse-pousses, seules âmes animant cette ville fantôme, se stoppaient pour nous regarder passer.

Nous devions de nouveau attendre les navettes pour nous rendre à l’aéroport. Le trajet, cette fois-ci dura 5 minutes. L’hôtel était en fait juste à côté de l’aéroport : c’est dire à quel point l’embouteillage d’hier étaient important. Une fois à l’aéroport, nous étions regroupés dans le hall, assis sur nos bagages, attendant les ordres d’on ne sait qui. Soudain, le chargé de communication de Malaysia Airline nous fit signe de nous diriger vers la salle d’embarquement au plus vite. Encore une fois, il ne servait à rien de se presser : nous passâmes les douanes et continuons à attendre au moins une heure. Certaines personnes firent le chemin inverse pour retirer de l’argent : la rumeur se répandait qu’aucun ATM ne fonctionnait à Katmandou.

Et puis, l’avion fût prêt ; il était temps d’embarquer. Une nouvelle fois, notre embarcation tourna frénétiquement autour de Katmandou, cette fois-ci dans une zone de turbulence. On nous annonça qu’il faudrait peut-être retourner à Dacca. À ce stade de l’aventure, ça m’était bien égal, surtout si l’on pouvait profiter de nouveau du buffet à volonté. Je me surprenais même à douter de mon désir d’aller à Katmandou.

L’avion était secoué dans tous les sens. J’étais bluffée par le calme des passagers. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il serait dommage que l’on s’écrase maintenant, sans avoir vu le Népal.

La bureaucratie Népalaise - dernière ligne droite

Finalement, l’avion eu la permission d’atterrir à l’aéroport de Katmandou. Ce fût un grand soulagement pour toute la flotte ; à l’arrivée, les passagers applaudirent trois fois. Une navette vînt nous chercher pour nous déposer au terminal.

Les premiers dégâts du tremblement de terre se dessinaient au fur et à mesure : des fissures aux murs, un sol déformé et fendu, un aéroport vide.

Ce fût un bazar monstre pour obtenir un visa. Mon but était de rester deux mois au Népal, j’avais lu sur internet que l’on pouvait directement demander un visa de 60 jours à l’aéroport, moyennant 30 dollars. La différence avec les autres visas délivrés, c’est que celui-ci ne proposait qu’une entrée simple, ce qui m’importait peu puisque je ne comptais pas quitter le Népal.

Après avoir dûment rempli un formulaire papier qui traînait avec les autres formulaire en bataille sur le bord d’une fenêtre, je présentais ma requête aux douanes. Manque de chance, l’information concernant le visa de 60 jours ne s’appliquait pas à toutes les nationalités. On me demanda de payer 100 dollars pour cette durée. Le lecteur de carte de crédit ne fonctionnait pas, les ATM de l’aéroport non plus. Impossible de payer la somme demandée. Avec mes 30 dollars en poche, je ne pouvais prétendre qu’au visa de 15 jours qui, lui, coûtait 25 dollars. Pour 30 jours, il fallait débourser 40 dollars. L’unique solution était donc d’opter pour un visa de 15 jours et de le prolonger par la suite. Le renouvellement tombait pendant ma retraite de méditation Vipassana, mais je n’avais pas d’autre choix.

Comme je n’avais pas de quoi payer le visa de 60 jours, je devais remplir un autre formulaire pour demander un visa de 15 jours. Je me retrouvais seule dans la salle des formulaires, les autres passagers ayant eu leur visa et étant allés chercher leurs bagages. Un homme, qui travaillait à l’aéroport, sorti de nulle part et m’aida à remplir mon formulaire sur une borne informatique mise à disposition dans la salle. Nous discutâmes de la situation et il me questionna sur mes projets. Lorsque je lui dis que je comptais me rendre à Thamel, un quartier de Katmandou où j’avais réservé un lit dans une auberge de jeunesse, il se proposa de m’emmener là-bas. J’avais relativement confiance en cet homme, il me semblait être quelqu’un de bien. J’acceptais son offre. Il me dit qu’il devait encore finir quelques bricoles ici, mais que je pourrais l’attendre à la sortie de l’aéroport. Je passais les douanes avec mon visa de 15 jours, et, par chance, croisa de nouveau Nena au milieu de tous les passagers qui attendaient leurs bagages. Il y avait une erreur sur son visa et elle devait retourner aux douanes pour le changer. Elle me demanda si j’avais pu avoir mon visa de 60 jours, chose à laquelle je répondais que je n’avais pas les sous nécessaires. Ni pour les 60 jours, ni pour les 30 jours. Je n’ai su quoi dire lorsque Nena me donna 10 dollars pour que je puisse échanger mon visa et prétendre à celui de 30 jours. C’était une chance incroyable, et j’espérais la retrouver par la suite pour lui rendre son dût, chose qui malheureusement ne s’est pas produite. Elle devait prendre un avion qui partait pour Surkhet dans moins d’une heure, et aucun ATM, même à l’extérieur de l’aéroport, ne fonctionnait.

Nous retournâmes toutes les deux aux douanes. Un homme qui semblait avoir un statut de supérieur se chargea de demander aux employés des guichets de changer nos visas. C’était un bonhomme bien portant dont le couvre-chef n’était autre que le chapeau traditionnel Népalais, appelé “Dhaka Topi”, qui me parût incongru au premier abord. Néanmoins, constatant par la suite son omniprésence au Népal, il devient vite une partie du décor. L’employé des douanes décolla mon précédent visa pour en recoller un autre. En différentes circonstances, j’ignore si cette action aurait été possible.

Nena devait prendre son avion. Je la remerciai une nouvelle fois, ne sachant quoi faire d’autre pour exprimer ma gratitude. Nous nous dîmes au revoir. Je m’étais mise en tête que je la rembourserai ; elle m’a laissé ses coordonnées et je pensais, à tort, pouvoir lui rendre visite lors de mon séjour. Cela était sans connaître les conséquences du tremblement de terre sur les transports et la difficulté, même en temps normal, de voyager à l’intérieur du pays. Aujourd’hui encore je ne l’ai pas oubliée et c’est encore un de mes objectifs de pouvoir lui rendre ses dix dollars.

Alors que pendant les nombreuses heures d’avion, j’avais l’impression d’être maudite, j’ai compris que partant d’une situation où tout semble aller de travers, l’issue relève parfois du miracle. Était-ce la manière dont le Népal me souhaitait la bienvenue ?

Thamel, Kathmandu

Namaste, Katmandou !

Je retrouvais l’homme qui m’avait aidé dans la salle des formulaires. Alors que l’aéroport était vide, le contraste avec ce qu’il se passait à l’extérieur était surprenant : une horde de personnes entourait l’aéroport et beaucoup attendaient dans les salles d’embarquement. Le ciel était lourd, gris, chargé de chagrin. Tout Katmandou semblait respirer la désolation. Malgré cela, quelque chose de particulier émanait de part et d’autre de la ville : quelque chose de serein au cœur du chaos. Je me sentais bien. Non pas que la vision de ces bâtiments en ruine et des nombreux camps de fortune improvisés ne m’affectaient pas, non ; j’arrivais à voir une certaine beauté dans cette cacophonie, dans cette terre qui m’était inconnue et que je découvrais pourtant sous son plus mauvais jour.

L’homme, nommé Ashish, souhaitait m’aider à trouver un ATM pour que je puisse retirer de l’argent. Je lui demandais à combien serait sa course, chose à laquelle il répondit qu’il était là pour apporter son aide et non réclamer de l’argent. Nous prîmes sa voiture. Il m’indiqua qu’il y dormait depuis trois jours, avec son chien, de peur que sa maison ne s’effondre. Il n’était pas le seul ; même les Népalais dont les maisons avaient résisté au choc étaient angoissés à l’idée d’y dormir, de peur que, trop fragilisées, elles s’abattent sur eux durant leur sommeil.

Ashish me fît découvrir la ville en voiture, tout en commentant la situation. C’était un paysage de désolation. Je ne savais quoi dire. Il n’y avait sans doute rien à ajouter. Nous trouvâmes un distributeur qui fonctionnait ; je pus retirer de l’argent. Ashish me proposa de fumer un joint dans sa voiture, en me disant que c’était un cadeau de bienvenue. Ici, fumer du cannabis, c’est commun et normal – à vrai dire, on passe pour quelqu’un de plutôt bizarre quand on ne fume pas, et chaque refus s’accompagne d’un “Really ??!!”. Les Népalais ont même le droit, une fois par an, lors du jour célébrant Shiva, de fumer de la ganja légalement.

Après cette petite escapade en voiture, Ashish se gara dans une rue du quartier de Thamel, non loin de là où se trouvait l’auberge de jeunesse nommée “Fireflies”, qui ne fût pas facile à trouver. Elle était localisée hors des rues principales, reculée dans un chemin étroit. Ashish appela l’auberge et demanda plusieurs fois le chemin, puis nous arrivâmes à destination. Il négocia pour moi le prix de la chambre, passant de 500 à 400 rupees. J’ignore comment j’aurais trouvé cet endroit sans lui. Je me sentais quelque peu perdue, toujours assommée par le voyage et la vitesse à laquelle les événements s’enchaînaient. J’avais les larmes aux yeux lorsqu’il me dit au revoir. J’enregistrais son numéro sur mon téléphone et lui exprima toute ma gratitude. Il rigola en disant que je pourrais lui rendre la pareille en lui payant une bière lors de notre prochaine rencontre.

Exhaustion !
Mom and children in Thamel, Kathmandu

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