Népal 2015 : Entre séisme et méditation

The Anapurna Mountains from the Begnas Lake

Alors que mon arrivée au Népal fût en quelque sorte abracadabrantesque, la suite des événements, quant à elle, manifesta un caractère plus doux, plus paisible.

Du Népal émane cette énergie singulière, mais ô combien lénifiante ; shanti shanti, on dit ici. Pas de course, pas d’inquiétude : les voyageurs, comme les habitants, semblent se laisser porter par le flot continuel du présent.

C’était en particulier vrai en cette période chaotique. Les Népalais cultivaient le pragmatisme ; “ke garne ?” répétaient-ils. En effet, que faire ? La Terre avait, en quelques minutes, détruit les plus beaux édifices que le pays détenait. Malgré tout, la vie suivait son cours. Une vie encore plus difficile qu’à l’accoutumée, mais qui n’effaçait pas pour autant les sourires et la générosité du peuple.

Katmandou, la mise en condition

Ashish, que j’avais précédemment rencontré à l’aéroport de Katmandou, m’avait déposé à l’auberge de jeunesse “Fireflies”, en plein centre de Thamel. QG des backpackers, le quartier de Thamel est le plus touristique de Katmandou; c’est là où se concentrent la majorité des guesthouses, restaurants et boutiques destinés au public occidental.

Mais lorsque je suis arrivée, Thamel était devenu un quartier fantôme. Les commerces étaient tous fermés, des tas de briques jonchaient les rues ici et là. L’électricité venait juste de revenir, mais pas internet, ni le réseau téléphonique. Les voyageurs se concentraient autour de la seule guesthouse du quartier qui émettait un signal WIFI : impossible de communiquer avec “le monde extérieur” d’une autre manière.

A street after the earthquake in Kathmandu
Rubbles in Thamel, Kathmandu
House destroyed by the earthquake in Kathmandu

À l’auberge, les liens avec les autres voyageurs se créèrent rapidement. Déboussolés pour la plupart, ils n’en avaient pas moins l’envie de “faire quelque chose”. Cette phrase était prononcée par toutes les bouches, à chaque conversation : “to do something”, apporter son aide, de quelques manières qu’elles soient. Beaucoup de backpackers se dirigèrent vers les villages plus reculés de la Vallée de Katmandou, là où les maisons avaient été le plus touché. C’est au milieu de ces amas de briques et de terre que leurs bras couverts de poussière soulevaient, déplaçaient et creusaient parmi les débris.

Volunteers helping to clear a collasped house in the Kathmandu Valley
View of the Kathmandu Valley
Two boys from a village in the Kathmandu Valley
Volunteers heading back

La charge de travail était lourde. Jamais je n’aurais imaginé un tel chantier. La volonté des personnes qui se sont déplacées dans ses zones plus affectées par le séisme était admirable. Simplement, il était déconcertant que le gouvernement n’aidait pas les familles touchées : toute l’aide était concentrée autour des monuments historiques. C’est un choix compréhensible du point de vue du gouvernement lorsque l’on sait que l’économie Népalaise est construite autour du tourisme, mais pour les familles, de simples tentes de fortunes faites de bâches et de bâtons s’était improvisées non loin des maisons. Plusieurs milliers de Népalais devaient ainsi vivre, pour une durée indéterminée. Des camions chargés de bidons d’eau distribuaient des rations à la population. L’eau était devenue une denrée rare, et nombre de personnes faisaient la queue pour en recevoir. Il en était de même pour les denrées alimentaires : les quelques restaurants qui avaient ouverts leurs portes malgré tout n’avaient qu’un nombre restreint de plats à proposer.

Deux semaines après la catastrophe, le Népal était déjà passé aux oubliettes médiatiques. Les ONG quittaient les lieux les unes après les autres, de même que les forces militaires étrangères. C’est en étant sur place que l’on réalise l’importance des médias pour mouvoir les foules. Non, en deux semaines, le Népal n’était pas un pays réparé, il était comme aux premiers jours du tremblement de terre. Sans doute le restera t-il pour quelques années de plus. Pourtant, la mémoire humaine oublie vite les incidents lointains lorsqu’elle ne reçoit pas de piqûre de rappel télévisuelle.

A truck providing water for the population in Kathmandu
People queuing to fill their water bottles in Kathmandu

Pokhara et les fluctuations émotionnelles

Il pleuvait des cordes lorsque je marchais, un jeudi aux aurores, vers la rue dans laquelle sont garés les bus à destination de Pokhara. J’avais donc passé trois jours à Katmandou, exploré un petit peu les alentours et rencontré des personnes charmantes. Parmi ces personnes, il y avait Ofiik, une Israélienne, et Sange, un Népalais qui travaillait à l’auberge Fireflies. Tous deux souhaitaient se rendre à Pokhara. C’est Sange qui nous aida à réserver notre ticket et qui, heureusement, nous guida pour aller dans la fameuse “rue des bus”.

Sept-cents roupies, sept heures de bus, des paysages époustouflants, avec, ajouté à cela, une halte déjeuner très appréciable. Les nuages se dissipaient jusqu’à l’évaporation, faisant apparaître cet océan aérien qui englobait la vallée de sa clarté. Alors que la température à Katmandou était plutôt clémente, voir fraîche – chose qui m’était particulièrement agréable – Pokhara était quant à elle frappé par un soleil de plomb. À l’arrivée, Ofiik, avec qui j’avais passé tout ce trajet à discuter de choses et d’autres, se dirigea vers le côté le moins touristique de la ville, contrairement à Sange et moi qui nous dirigions vers le centre. Sange m’accompagna à l’auberge dans laquelle j’avais prévu d’aller, sans pourtant faire de réservation au préalable. Malheureusement, il n’y avait plus de place : les voyageurs restaient bloqués à Pokhara par peur de retourner à Katmandou. La majorité des auberges et guesthouses étaient complètes. Sange chercha un autre endroit où rester.

Même si la ville de Pokhara a, elle aussi, ressenti les secousses, elle fût beaucoup moins touchée que Katmandou. Quelques dégâts étaient visibles ici et là, mais globalement, cette ville était considérée comme étant plus sûre. Retourner à Katmandou était jugé risqué.

Heureusement, les gérants de l’auberge me redirigèrent vers une guesthouse adjacente, nommée “Little Buddha”, possédant encore quelques chambres de libre. J’envoyais un message à Sange et Ofiik pour leur faire savoir cette nouvelle, pondérant l’idée qu’ils éprouvaient peut-être les mêmes difficultés pour trouver une chambre.

Et, sans crier gare, une espèce de panique s’empara de moi. C’était indescriptible, je me suis soudain sentie oppressée, perdue et vulnérable. Je me suis assise dans la cour de la guesthouse et j’ai voulu pleurer. Était-ce un aftershock émotionnel ? Le résultat de plusieurs jours au cœur de la destruction même qui finirent par ressortir sous forme de frayeur ? Je voulais rentrer, je voulais qu’on me laisse tranquille. Le gérant de la maison d’hôte, âgé d’une quarantaine d’années, s’assied à côté de moi et nous discutâmes un peu. Notre conversation m’aida à reprendre mes esprits. Il fit preuve d’une grande empathie envers moi, malgré les épreuves et les incertitudes qui devaient également lui peser. Cet homme avait nommé sa guesthouse du même nom que son fils, Sano Bud’dha, âgé de 5 ans.

Nous étions le dernier jour d’avril ; la retraite de Vipassana à laquelle je souhaitais participer commençait le lendemain, au 1er mai. Comme je ne savais pas si elle était maintenue en raison du tremblement de terre, je contactais le centre par message pour avoir plus d’informations. Fort heureusement, la retraite avait lieu. Je devais me présenter au centre de méditation avant 13h00. Je me sentis soudain soulagée et sereine à l’idée de continuer l’aventure et de ne pas rester bloquée à Pokhara. Je m’informais auprès du gérant de la maison d’hôte quel était le meilleur moyen pour me rendre en bus à Begnas Tal, le lieu de la retraite. Il me conseilla de prendre la petite navette blanche qui dessert la ville. Comme presque partout dans cette partie de l’Asie, il n’y a pas d’horaire de passage, il suffit d’attendre sur le bord de la route et faire signe pour que le bus nous fasse monter à bord. Ensuite, je devais simplement demander au chauffeur de s’arrêter à Prithivi Chowk, une grande intersection de laquelle partent les mini-bus pour Begnas Tal. Je quittais la maison d’hôte suffisamment de bonheur pour ne pas être en retard là-bas.

Vers Begnas Tal et les dix jours de silence

Je m’avançais près de la ligne de mini-bus et demandais à un homme, qui semblait être un chauffeur, lequel de ces bus allait vers Begnas Tal (tal signifiant “lac”). Il me dit de patienter devant le dernier bus de cette ligne, en me précisant que ce bus allait partir et que le suivant qui se garera ici qui sera le bus que je devais prendre. Après environ 10 minutes d’attente, je montais dans le bus suivant qui allait, en effet, vers Begnas.

Le trajet fût tranquille. Les mini-bus sont joliment décorés au Népal, aussi bien intérieurement qu’extérieurement. La tôle est parfois peinte d’arabesques colorés, ornée de quelques représentations de divinités Hindou. L’habitacle, quant à lui, est agrémenté d’une arche en pointe, parfois ornée de pompons ou d’un rideau, et le plafond est également peint de couleur vive. Être dans un bus Népal relève aussi bien du dépaysement que de l’aventure, surtout en heure de pointe : il n’est pas rare que le bus soit si rempli que les gens montent sur le toit et s’accrochent aux échelles extérieures.

Inside a bus in Nepal

C’est arrivée à la station de bus de Begnas que je demandais au chauffeur le moyen de me rendre au centre Vipassana. Il semblerait qu’à Pokhara et dans ses alentours, tous les locaux connaissent le lieu exact de cette retraite. Il m’indiquait qu’il fallait que je monte la colline ; cela semblait correspondre au plan que j’avais sur Maps.me. Je m’aventurais donc vers ce chemin pentu, ascension fatigante dans la moiteur d’un matin déjà trop chaud. Sur le chemin s’envolait des “Namaste” à droite et à gauche : les personnes que je croisais étaient très polies, et les enfants, parlant anglais, me demandaient tous où j’allais. Lorsque je prononçais le mot “Vipassana”, ils m’indiquaient de monter toujours plus haut. Il fallait continuer sur cette lancée sur près de 3 km. Ensuite, au lieu de poursuivre sur la route goudronnée, je m’aventurais sur ma gauche dans un petit sentier qui, d’après le plan, menait à un temple et conduisait également au centre de méditation.

Deurali Temple, Begnas Tal

Après le temple, le sentier continue à travers quelques maisons, puis devient encore plus escarpé au fur et à mesure que l’on se rapproche du centre. Arrivé à une intersection, un signe nous indique la direction à suivre : le sentier descend et est parsemé de grosses pierres qui rendent la marche périlleuse. Après cela, la première partie du centre apparaît : une petite hutte de paille où déjà quelques personnes étaient présentes.

Les inscriptions étaient quelque peu chaotiques : beaucoup de personnes, pourtant enregistrées, ne s’étaient pas présentées ou s’étaient désistées à cause du tremblement de terre. Pour ma part, même si j’avais rempli ma demande d’inscription en ligne, j’ignorais qu’il fallait reconfirmer ma présence autour du 25 avril. Mon inscription n’était donc pas officiellement reconnue, même si mon nom apparaissait sur la liste. On me dit de patienter : mon inscription se ferait après tous ceux dont la présence était officiellement validée.

Cependant, je n’étais pas la seule dans ce cas : beaucoup de personnes étaient venues sans même s’inscrire en ligne. Les organisateurs ne pouvaient donc pas promettre que tout le monde puisse participer, mais au final, chacun pu avoir sa place puisque nous n’étions pas très nombreux : 12 femmes et 15 hommes au total. Le premier repas que l’on nous offrit, de même que les autres qui suivirent, fût un régal : les plats étaient tous végétariens et traditionnels de la cuisine Népalaise.

Nous pûmes discuter entre nous et faire connaissance avant la première séance de méditation en début de soirée, après cela, nous étions amenés à faire vœu de silence pour toute la durée de la retraite, soit 10 jours. Les femmes et les hommes étaient séparés dans deux parties différente du centre, ce n’est que pendant les heures de méditation que tout le monde était réuni dans la même salle. Les journées commençaient à 4h du matin et se terminaient à 21h, soit environ 10 heures de méditation entrecoupées de pauses déjeuner. Je ne raconterai pas en détail mon expérience Vipassana ; chaque expérience est unique. Rester assis des heures durant est un vrai travail de force physique et mentale : des pensées que je croyais enfouies surgirent sans crier gare, des images incongrues s’invitaient dans mon imaginaire visuel. La douleur ressentie à force d’être en position statique s’effaçait au fur et à mesure que mon esprit s’apaisait. Le dernier jour, une sensation de bien-être et de paix semblait émaner de mon être entier. La vie avait un goût plus simple et plus pragmatique, orienté vers le nécessaire, vers l’essentiel, vers le présent.

Dhamma Pokhara, the Vipassana center in Begnas Tal

Les liens créés avec les participants lors de cette retraite furent particulièrement forts. Bien que le silence soit le maître mot, vivre en promiscuité pendant 10 jours sans ouvrir la bouche donne l’étrange impression de connaître son voisin de méditation — qui, dans mon cas, était une parfaite inconnue. Après la retraite, lorsque les langues se délient enfin, les mots fusent, les discussions sont sans fin : on croirait être entouré par des amis de longue date auxquels on accorderait notre confiance les yeux fermés.

Lorsque tout le monde faisait ses valises et s’en allait, je suis restée avec quelques personnes pour finir de nettoyer les chambres. Parmi elles, il y avait Umi, une japonaise au caractère doux et pourtant résolu, qui était là en tant que “server” — nom donné aux volontaires qui s’engagent à aider les participants et servir les repas. Cindy, une Française expatriée en Suède, s’était aussi jointe au grand nettoyage. Elle était ma “voisine” de Vipassana, et la première personne avec qui j’ai parlé lorsque le noble silence s’est rompu.

C’est donc ensemble, avec un autre server Français du nom d’Antoine, que nous restâmes quelques jours de plus à Begnas. Nous logions tous dans la petite maison d’hôte nommée Robin’s Nest, située sur le chemin qui mène du temple au centre de méditation. Entre quelques ballades près du lac, des Dal Bahts à chaque repas, beaucoup de café, de discussions spirituelles, philosophiques et, accessoirement, un autre tremblement de terre, les jours coulaient comme du miel au soleil.

Les tourments et les doutes que j’avais eu auparavant s’étaient dissous : j’étais prête à retourner à Pokhara et prendre le temps de découvrir la ville. Alors que Cindy devait prendre son avion pour aller en Australie, c’est avec Umi que je quittais Begnas pour me rediriger vers Pokhara. Nous prenions à nouveau le chemin du petit temple, là où Umi s’arrêta pour prier. Nous avions prévu d’attendre le mini-bus pour descendre la colline. La chance nous sourit lorsque deux garçons du cours de Vipassana, eux aussi restés à Begnas, passèrent devant nous en mobylette et nous déposèrent directement à la station de bus d’où partait la navette vers Pokhara. L’aventure, encore une fois, continuait : qu’allait me réserver Pokhara ? Comment vivrai-je le retour à “la réalité” ? Pourrais-je mettre en pratique tout ce que j’avais appris lors de mes 10 jours de méditation ? Annicca, pensais-je.

The Vipassana Center : A hill with a view
Two men talking and laughing by the Begnas Lake
Begnas Tal
Himalayan Mountains from the Begnas Lake

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